Manifesto

En janvier 1996, B.ü.L.b comix, maison d’édition indépendante d’art séquentiel, sort un premier album totalement artisanal avec feuillet intérieur en photocopie et couverture sérigraphiée en trois couleurs, intitulé «Sûre» du genevois Alex Baladi. Un tirage de cent vingt-six exemplaires, cent destinés à la vente, numérotés et signés qui seront liquidés en un seul soir de vernissage et vingt-six libellés de A à Z qui seront partagés entre l’auteur et son éditeur. Un an après sa création en 1997, la petite maison d’édition s’apprêtait à sortir cinq nouveaux titres. Ce fut l’occasion d’améliorer sa ligne éditoriale, de jouer avec les codes “bd” et de se démarquer des autres éditeurs du milieu, surtout des “gros” en définissant une “charte” quasi dogmatique.

Lors de l’élaboration de son diplôme en communication visuelle à la Haute école d’arts appliqués de Genève, Nicolas Robel souhaitait mettre en place une entreprise artisanale à but non lucratif, au budget très limité et qui publierait des livres de qualité à des prix abordables.

A l’origine B.ü.L.b vient de l’anglais «bulb» qui signifie ampoule et par la même occasion la notion de lumière, d’idée, de créativité est évoquée.

La définition qui suit est tirée de l’analytique remis au jury et tente de définir les fondations d’une aventure qui dure depuis plus de dix ans: «A l’origine B.ü.L.b vient de l’anglais «bulb» qui signifie ampoule et par la même occasion la notion de lumière, d’idée, de créativité est évoquée. La prononciation de “bulb” varie selon les personnes et leurs connaissances de la langue anglaise. Après avoir tout entendu en passant par [boulb], [beulb] ou bien encore [bulb], je décidais de jouer sur le paradoxe de sa signification et de son pays d’origine. J’optais alors enfin pour un mot à connotation contrastée au travers de son orthographe peu orthodoxe. J’ai alors tenté graphiquement à l’aide d’une alternance de majuscules et de minuscules de créer, quelle que soit la police utilisée, avec «B.ü.L.b» un logo en soi. Dans sa forme finale, la typographie y est volontairement définie afin d’appuyer la notion de redondance d’une identification et d’un logotype. Qu’est-ce que peut bien signifier ce mot maintenant transformé en lettres indépendantes les unes des autres? Le «B» pour bande dessinée, le «ü» pour ütopique et enfin le «L» et le «b» sont, pour conclure que les éditions B.ü.L.b proposent des Bandes dessinées ütopiques à Lire dans son bain. Pourquoi ütopique? Pour expliquer les buts considérés peut-être comme démesurés d’une petite maison face à un marché impitoyable. Ütopique, pour justifier les ambitions (sans limites?) d’une édition qui ne possède peut-être pas les moyens de les réaliser. Mais ütopique aussi parce qu’elle tente d’une manière détournée d’y parvenir. «A lire dans son bain» enfin, ne signifie pas que les albums sont à l’épreuve de l’eau, mais vient ajouter une note incongrue dans la signification globale.

Radicalisme: DIY (Do-It-Youself)
inspiré de la mouvance hardcore straightedge au milieu des années 80, vente ferme 40% et sans retour, graphisme de couverture
en deux couleurs uniquement,
tirage maximum de 1000 exemplaires…

En juin 2007, les éditions ont célébré leurs dix ans d’existence non subventionnée. Ce fut l’occasion de faire un bilan et d’améliorer certains détails qui nous auraient sûrement échappé, par manque d’acuité et d’expérience dix ans auparavant. La charte de base n’a presque pas bougé. Radicalisme: DIY (Do-It-Youself) inspiré de la mouvance hardcore straightedge au milieu des années 80, vente ferme 40% et sans retour, graphisme de couverture en deux couleurs uniquement, tirage maximum de 1000 exemplaires afin de gérer les coûts et la gestion des stocks, souci de qualité artisanale (choix de matériaux bruts de haute qualité) malgré les contraintes techniques et financières d’un tel tirage, pliage et emboîtage à la main dans le cas de la collection 2[w], impression et reliure suisses et investissement bénévole de la part de ses fondateurs et des acteurs. Le logotype et ses multiples déclinaisons restent également inchangés, les polices de caractères sont toujours de la DIN Engschrift et de l’Erbar rejointent récemment par de la TazzerText qui est venue agrémenter certains textes de promotion composés en petits corps. Le format et le concept de chaque collection restent les mêmes et se déclinent facilement. Le système se devait d’être modulable et évolutif. Chaque collection porte le nom du wattage d’une ampoule et plus l’ampoule est puissante plus le format est grand. C’est plutôt basique, mais ça a le mérite d’ouvrir des perspectives. Les collections comme vous le verrez dans le catalogue d’appoint se déclinent pour le moment comme suit: 2 [w], 25 [w], 40 [w] et X [w].

Tout est basé sur le système
DIN ISO 216 (série A)…

Une collection 15 [w] avec une reliure japonaise particulière est en préparation avec la sortie de quatre titres. Chaque collection a été pensée en fonction de la perte de papier minimale et du procédé d’impression initial: la photocopie. De ce fait, on peut mettre cinq bandes de 2w sur une page A3, deux doubles pages d’un 25w ou une double page d’un 40w sur un A4. Tout est basé sur le système DIN ISO 216 (série A) et l’est toujours bien que nous sommes passés en impression offset.

Nous ne dépendons pas des «modes»
que le marché pourrait nous imposer,
ni d’une éventuelle faillite.

Malgré une somme de base très modique, B.ü.L.b comix est autonome financièrement depuis bientôt 12 ans. Cela signifie que la vente des livres permet de couvrir les frais et même de faire des bénéfices qui sont alors directement réinjectés dans de nouveaux projets. Cela signifie aussi et surtout indépendance artistique «totale». Nous ne dépendons pas des «modes» que le marché pourrait nous imposer, ni d’une éventuelle faillite. La contre-partie: l’impossibilité d’en retirer un revenu qui permettrait d’en vivre. Mais du moment que cette idée fut écartée dès le début, la question ne se pose même pas. Très naïvement et sincèrement, nous pensons que les 114 livres édités, les contacts que nous avons établis avec nos auteurs (plus de 100!) et les libraires qui nous soutiennent ont dépassé depuis bien longtemps nos expectatives.

La volonté éditoriale était de miser
sur une sélection pointue d’auteurs internationaux peu publiés jusqu’alors,
à la frontière entre illustration,
bande dessinée et art contemporain…

La volonté éditoriale était de miser sur une sélection pointue d’auteurs internationaux peu publiés jusqu’alors, à la frontière entre illustration, bande dessinée et art contemporain, de mettre en avant des œuvres à risque et de miser sur le fragile équilibre des émotions ressenties lors de leur première découverte. Nous voulions expérimenter tout en misant sur le long terme. Nous avons accentué cet axe du débat et nous souhaitons convaincre un public plus large encore.

Les livres sont depuis plus de dix ans disponibles en France, en Belgique, au Canada et aux Etats-Unis et bien sûr aussi en Suisse. Malgré toute l’énergie déployée, les nuits à imprimer, plier, faire des paquets, des factures, des suivis de stocks, des rappels, l’esprit initial et fondateur est resté, un peu comme par miracle, intact et comme le dit si bien Steve McQueen dans Papillon “We’re still here, you bastards!”

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